Août 2007, nos premiers pas dans le quartier
Loin du centre ville, au pied des coteaux de Bergerac dressés de somptueuses résidences, nous longeons une ruelle où s’alignent de coquettes maisons et prenons une impasse. Tout au fond nous découvrons une cité en partie vidée de ses habitants, La Catte. Un parc entouré de blocs plus ou moins petits, une sensation de paix, un calme étrange, une belle lumière. Une seule voie d’accès qui lui donne la particularité d’être totalement isolée. Des barres, des tours… comme tant d’autres cités. On nous explique que cette cité va être en partie détruite parce qu’il y a des problèmes, qu’il est temps de casser le ghetto et d’imaginer enfin ce lien manquant avec le centre ville. Des habitants nous saluent, quelques enfants jouent. Ce sont les mêmes jeux que nous avions à leur âge. Nous apprenons que cette cité est composée de 80% de gens issus de l’immigration. Nous poursuivons notre route jusqu’à Beauplan, autre cité plus petite que l’on surnomme « la cité des petits blancs oubliés ». Les problèmes de cette cité sont différents nous dit-on. Une majorité de femmes seules, aux revenus très faibles, vit dans ces lieux. Beauplan est en sursis concernant la rénovation. Nous allons passer quelques mois dans ce quartier sans caméra.
Juillet 2008, les murs de la Catte vont bientôt tomber.
Un climat extrêmement tendu règne dans la cité. Une immersion de plusieurs mois dans le quartier nous a permis de comprendre son mode de fonctionnement, de décrypter ses codes et d’obtenir enfin la confiance des familles déjà parties ou encore présentes dans ce no man’s land qui n’en finit pas de mourir. Le tournage a débuté en janvier. Le travail de mémoire auprès des habitants avance rythmé par les coups de pelle. Ce qui devait être un simple recueil de mémoires se transforme alors en écueil de douleurs, de révolte. Face à ce plan de rénovation, les avis sont partagés et l’on sent pour la première fois une cassure profonde entre les habitants. Les bonnes intentions des décideurs, les réflexions sur la meilleure méthode n’empêcheront pas hélas les manquements. Pour mieux comprendre nous suivons pas à pas la société HLM chargée de la mise en œuvre de ce plan. Devant ces ruines, jour après jour la caméra est là discrète, respectueuse, filmant les traces d’un passé qui se refuse à mourir et qui affronte les promesses de lendemains heureux. Impensable à nos yeux d’ignorer cette lourde mécanique qui se met en place, et qui, parce qu’il y a une date limite à cette longue mort, doit avancer en gros sans faire de détail. La caméra est là, de plus en plus présente tentant de rendre visible l’invisible, palpable l’impalpable, préoccupée uniquement par le plus important des détails : l’humain.
La caméra, témoin du début d’une nouvelle ère
L’intégration rêvée par les politiques serait donc en marche. Un pavillon, un jardin, un grillage tout autour…Le « chacun son petit bout de France » a fini par être le rêve de toutes les communautés. La verticalité cède à l’horizontalité. L’histoire nous plonge au milieu des constructions nouvelles, cherche à entrevoir derrière les clôtures fraichement montées mais se heurte à une bâche opaque. On sent bien que l’on est peut-être en train de se tromper et que les problèmes liés au développement durable pointent déjà leur nez. pour la petite cité de Beauplan, des rumeurs, on va peut-être détruire ! L’inquiétude monte.
Comprendre le quartier en creusant ses racines
Au-delà d’un simple état des lieux, celui d’une cité « malade » et qui va disparaître nous voulons remonter à l’origine de ce quartier pour comprendre comment l’image de cette cité de campagne a basculé en trente ans de « la cité moderne tout confort» tant enviée à « la cité ghetto » si décriée et que l’on abat aujourd’hui. On s’aperçoit alors que ce sont les historiens qui nous parlent le mieux d’urbanisme, que ce sont les urbanistes qui nous parlent le mieux de mixité sociale et que les habitants de la cité, ces fils du Caudeau, ont eux aussi des points de vue politiques sur le problème et qu’ils veulent être enfin entendus. C’est ce brassage subtil de réflexions qui nous a amenés à créer au montage ce qu’il manquait dans la vraie vie : un dialogue entre tous les acteurs et témoins de cette rénovation. Devant l’ampleur et la richesse des propos recueillis, ce qui devait être un 52 minutes au départ devient un long métrage et notre trame d’origine est considérablement revue. Parmi les 72 personnes avec lesquelles nous avons fait un bout de route, 25 se retrouveront au montage final. Choix crucial mais guidé uniquement par le désir d’une lecture limpide, ces personnes étant le reflet authentique des propos recueillis dans l’ensemble du quartier. A travers ces instantanés de vie, manichéisme et sensationnel sont absents ; juste l’authenticité, l’émotion partagée avec ces passeurs de mémoire et la promesse tenue de ne jamais trahir leurs mots.
La jeunesse
La jeunesse sera volontairement peu présente dans cet opus 1. Nous en sommes vite convaincus. Son mal être, sa révolte qui crèvent chaque jour plus l’objectif nous poussent à lui réserver une attention particulière. Une partie de cette jeunesse est malade et ne sait donner un nom à cette maladie, nous le sentons bien. Elle se replie, s’enferme, mais veut qu’on la voie, qu’on l’entende surtout. Et cela passe par des incivilités commises dans tout le quartier. Nous dirigeons alors la caméra vers les anciennes générations. « Les vieux » nous racontent avec une certaine fierté qu’il y avait des bandes à leur époque, qu’ils avaient des jeux d’une cruauté redoutable et qu’ils étaient incompris de leurs propres parents. Ces jeunes d’aujourd’hui sont-ils réellement plus violents ? C’est un grand pas, la caméra si redoutée est enfin acceptée par les jeunes de La Catte et de Beauplan,. Elle semble avoir un effet apaisant parfois car elle sert d’exutoire, de déversoir. Mais elle n’est pas là pour faire du bien. Elle est là pour capter ces codes qui changent, ces conflits de générations qui s’aggravent, cette mixité garçon/fille qui n’est plus de mise et tenter de mesurer le degré de ce qui semblerait être une révolte. Un long travail nous attend. Cette jeunesse sera l'objet de l'opus 2.
Les femmes
Les femmes de 40 à 60 ans sont muettes, inexistantes c’est bien le mot. La cité les protège au point de refuser toute idée d’émancipation. La langue française n’est toujours pas maîtrisée. Un atelier existe pourtant mais fait peu d’émules. Avec beaucoup d’entre elles l’échange a été permis mais impensable à leurs yeux d’être filmées. Les jeunes filles se battent, réussissent mieux leur scolarité et ne veulent qu’une chose : quitter la cité pour être enfin libérées de ce regard si violent. Là aussi la caméra doit s’arrêter, prendre son temps. Nous décidons comme par évidence d’accorder du temps à ces jeunes et à ces femmes de « cité de campagne », tenter de saisir comment ils s’identifient aujourd’hui, ce qu’ils attendent, ce qu’ils n’attendent pas ou plus Certains d’entre eux s’en sortent, peut-être rêvent-ils plus fort que d’autres ? Toutes ces questions seront creusées dans l’opus 2.
L'heure du bilan
Ce sera l'objet de l'opus 3.